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philippe muray - Page 12

  • En Adam et Eve

    059481d373858608a42a81e27564fb5e.jpgEn post-scriptum du long débat que nous avons eu à la suite de mon post sur Sacha Guitry, Celeborn, Café du Commerce et moi, sur l'homosexualité, le féminisme et toutes ces sortes de chose, je recopie ces pages saisissantes de Philippe Muray (tirées d'Exorcismes spirituels III), agrémentées de quelques raccourcis synthétiques de mon cru.

    Et d'abord comprendre ce fait moderne incontournable que L'ALIENATION A DISPARU. Tout ce qui arrive est voulu. "C'est l'homme d'aujourd'hui, l'homme concret d'aujourd'hui qui a voulu le désastre où il est si à son aise" (préface) Tant pis pour Bernardo Guy Debord, l'inquisiteur inutile et incertain. La société du spectacle est devenue une société de la fête où chacun dissout son individualité, reniant allègrement son humanité, et réalisant la prophétie du grand écrivain polonais Witkiekiewicz que l'homme futur sera taré et fort heureux de l'être. Commencent alors ces "abattages massifs de vie concrète" dont ne se lassera pas de se moquer l'homme au cigare.

    "D'une façon générale, il devrait être maintenant possible de commencer à évoquer froidement ce qui reste de la vie sexuelle à la manière dont on décrit les monuments du passé, les cathédrales, les ouvrages d'art désaffectés, les palais inutiles et les châteaux déserts entre lesquels on continue à se déplacer une humanité qui n'a plus avec ceux-ci le moindre rapport de cause à effet, mais qu'elle révère néanmoins en tant qu'objets de contemplation et prétextes de visites..."

    "... La tentative féroce autant que totalitaire d'effacer le fond biblique de ce qui a pu s'appeler la civilisation. S'il y a un lieu, en effet, où cette différence, qui est bien plus que sexuelle, se trouve marquée à jamais comme base de toute vie et condition de possibilité de toute humanité, c'est la Bible. Les maux que Dieu y promet à l'homme et à la femme après l'épisode du péché sont eux-mêmes extrêmement différenciés. A la femme sont annoncés la multiplication des peines de ses grossesses, des enfantements dans la douleur, un désir malheureux pour l'homme qui la placera sous son esclavage ; à l'homme, de son côté, sont annoncés la peine du travail quotidien, la dérision des résultats qu'il obtiendra par rapport à cette peine, et, pour finir, son retour à la terre par la mort. Sous des tuniques de peau dont rien, dans le texte de la Genèse, ne dit explicitement qu'elles diffèrerent, les destins respectifs de l'homme et de la femme se révèlent donc absolument divergents. Et c'est l'homme seul que Dieu semble vouer de sa propre volonté  à la mort, qui est pour ainsi dire dans le texte biblique l'équivalent masculin des grossesses multipliées de la femme. Mais rien, en revanche, n'indique que la femme doive mourir, ni surtout qu'elle ait une connaissance directe de cette fin. La mort n'est pas programmée pour elle dans le châtiment de Dieu ; pas davantage que la procréation n'est inscrite dans les châtiments réservés à l'homme. Pour parler autrement, la mort n'est pas mentionnée dans le cahier des charges de la femme. La mort n'est pas de son domaine, ni de ses compétences. Dieu, de son côté, ne voit pas la mort de la femme ; et il n'en parle pas à la femme. Et on peut dire aussi que Dieu s'intéresse à la mort de l'homme, mais pas du tout à celle de la femme, de même qu'il s'intéresse au malheur féminin de la procréation, à cette peine en soi d'avoir à accoucher, alors qu'il n'accorde pas une seconde d'attention à l'homme en tant que père, ni à son futur rôle de nouveau père prenant un congé parental au moment de l'accouchement de sa femme pour changer les couches-culottes du lardon et participer dans la bonne humeur au rééquilibrage des tâches domestiques. Il y a, en somme, deux châtiments, deux programmes de peines très différents, non symétriques. Et ce sont ces deux pôles essentiels qui, contre-investis, produiront plus tard "l'embrouillement" du Plan de Dieu, comme il est dit dans Le livre de Job, "les bavardages imbéciles" des mythes et des sectes, et encore, bien des siècles après, ce rééquilibrage des tâches domestiques qui n'est qu'une des dernières étapes de la disparition du mâle. La différence sexuelle est d'abord une différence d'informations." (Sortir de la libido)

    Dans l'article suivant, Parc d'abstaction, Muray rappelle cette anecdote typique de notre époque de ces deux avocats bavarois qui demandèrent il y a quelques années qu'on inscrive la Bible sur la liste des écrits dangereux pour la jeunesse en raison des "passages sanglants et contraires aux droits de l'homme" qu'elle contient. Bien que déboutés par le tribunal, nos deux juridiques n'en ont pas moins participé, certes sur son mode le plus ridicule, à  "... la lutte finale [destinée à] effacer jusqu'aux dernières traces de l'histoire judéo-chrétienne, autrement dit l'Histoire tout court, qui se ramène aux longues suites de l'exil du Jardin d'Eden."

    4fdcb997244ac981684969db80ef2e41.jpg"L'irrésistible envie moderne de retrouver l'état indifférencié d'avant la "Chute" biblique entraîne, pour commencer, le désir de liquider le fond culturel juif de l'Occident, qui interdisait jusque-là par principe toute velléité de retour à cet état indifférencié. D'une façon générale, et même si elle ne se l'avoue pas, toute notre époque avec ses idéaux harmoniques, incestueux et androgyniques, est en guerre contre ce qui avait si longtemps donné son sens à l'Histoire, et jamais l'origine de ce sens n'avait pu être trouvée qu'ailleurs que dans les grands épisodes de la Genèse ou de l'Exode, ainsi que dans la litanie des interdits du Lévitique. Les meurtres abondent en effet, dans la Bible, et aussi les sacrifices, les explusions, les châtiments. Ils composent cet univers concret en proie au Mal qui a été la réalité adulte de l'humanité tant qu'elle ne s'est pas mis en tête qu'elle pouvait instaurer le Bien unilatéral sur la terre, mais contre lequel se rebelle l'orthodoxie contemporaine, qui en a fini avec la dialectique du Bien et du Mal, qui ne veut plus rien savoir des séparations cruelles et structurantes ouvrant au monde adulte et qui ne se connaît plus de vérité que dans le glissement vers un nouvel onirisme puéril, virtuel et téléchargé. (...) Il est possible de dire nettement que la Bible n'a cessé de lutter contre cette tyrannie du Même dans laquelle nous entrons, et que la longue période où cette tyrannie fut tenue en respect porte le nom de civilisation. Il n'est nul besoin d'être "croyant" pour discerner dans les proscriptions apparemment bizarres du Lévitique, qu'elles soient alimentaires ou autres, l'horreur de toute indifférenciation et , par la bouche de "l'Eternel", la volonté d'en proscrire la réapparition. "Tu ne feras pas cuire le chevrau dans le lait de sa mère" ; "Tu ne porteras pas sur toi de vêtements composés de lin et de laine" ; "Tu ne découvriras point la nudité de ton père ni la nudité de ta mère" ; "Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme" ; "La femme ne s'approchera point d'une bête pour se prostituer à elle, c'est une confusion." ; "Si un homme prend pour femmes la fille et la mère, c'est un crime : on les brûlera au feu, lui et elles."

    De fait, la Bible ne prône nulle part l'épanouissement du vivant, le body-building, la relaxation, les loisirs, le télé-travail, l'Internet-citoyen, la réduction du temps de travail, les trente-cinq heures, les trente-deux heures, les vingt-sept heures, les dix-huit heures, les deux heures, la disparition des heures, les vide-greniers, les piques-niques citoyens, la gymnaquatique, la muscu, les randonnées en tenue fluo, les félicités électroniques, la movida hilare et les Gay Prides.

    On n'y trouve aucune contribution à l'accroissement des droits des malades, du droit au logement et de celui des handicapés, des sans-fenêtres, des sans-portes ou des sans-papiers. L'épisode de Babel est une insulte à notre idéal de culture interculturelle et transfrontalière. La différence des sexes marquée à jamais, dans la Genèse, comme condition de possibilité de toute humanité (avec l'énoncé des maux différents, ou plutôt différenciés avec une extrême précision, que Dieu promet à l'homme et à la femme après l'épisode du péché...) justifie la haine de tous les transgenristes, de tous les partisans du "l'un et l'autre" ou du "ni l'un ni l'autre", de tous les déligitimeurs  de "l'ordre symbolique"  et de tous les apologistes  du "contre-pouvoir féminin" menacé par le front réactionnaire de l'Internationale machiste. (...)"

    880055730.jpg"La nouvelle existence sans contradictions que le turbo-droit-de-l'hommiste, dans sa course en avant calquée sur celle du turbo-capitalisme, entreprend d'imposer partout, ne peut que se heurter à l'Ecriture, qui est la Contradiction de toutes les contradictions. La part d'ombre, la négativité, caractéristiques il n'y a pas encore si longtemps de ce qu'il y avait de plus humain et de plus libre dans la condition humaine, ne sont plus que des crimes ou des infirmités. En tout cela, c'est le processus de dépersonnalisation des êtres qui s'accélère. Il ne faut plus que l'individu puisse prétendre avoir une seule mauvaise pensée à soi, ni même une seule pensée. Cette menace doit être conjurée par l'arrachage des "racines bibliques" de toute pensée. Et le reste suivra, à commencer par la prohibition de la littérature, du moins chaque fois que celle-ci n'aura pas eu le bon goût de faire progresser les valeurs de justice et de citoyenneté. La transcendance ne peut pas cohabiter avec l'abominable commandement de la transparence".(Parc d'abstractions)

    Contre la réalité, on pose désormais l'authenticité - notamment en art où la distance entre l'auteur et le narrateur (ou le personnage) est aboli et où le moi, forcément aimable, s'épanouit sans plus aucun souci port-royaliste (Breillat, Angot). Contre l'humanité on défend la communauté. Contre la dialectique existentielle du bien et du mal, on instaure l'empire du Bien. La protestantisation générale du monde détruit les derniers bastions catholiques et latins. Le diable est expulsé de la sphère morale (alors que le catholicisme avait tellement bien su en faire "la part"). Les politiques se mettent au service de l'opinion - elle-même manipulée par les avis les plus minoritaires et les plus aberrants. Ce qui était négatif n'est plus que répulsif. Le monde de la séparation est mort et avec lui la mort de l'homme (et de la femme) commence.

    PS du PS : Pour ceux que cela intéresse de délirer un peu sur tous ces sujets,

    http://pierrecormary.hautetfort.com/archive/2006/08/19/nous-les-abolibibliotionnistes.html

    Lien permanent Catégories : In memoriam Philippe Muray Pin it! Imprimer